Nous avons rencontré une militante de la Coordination Antifasciste d'Athènes - Le Pirée, dont elle nous a retracé l'activité depuis sa création à l'été 2013. Nous mettons en ligne une synthèse qui se termine par une présentation du programme (provisoire) du festival antifasciste européen qui aura lieu en avril prochain à l'initiative de la coordination.
Activité de la Coordination
Antifasciste d’Athènes – Le Pirée
Juin 2013
La Coordination
antifasciste d’Athènes – Le Pirée a été initiée en amont du Festival
antiraciste (qui se tient tous les étés depuis 20 ans, et rassemble
régulièrement autour de 20 000 personnes à Athènes pendant 3 jours), par des
militants de diverses organisations. Dans le contexte d’une intensification des
attaques racistes de la part de l’Aube Dorée, l’idée est alors de donner au
festival antiraciste 2013 un caractère antifasciste plus marqué, et d’y
réaliser une première coordination des comités qui se créent localement en
grand nombre. Ce qui est fait via la mise en place au sein du festival d’un
espace antifasciste fréquenté par beaucoup de monde, avec des discussions
quotidiennes. Des animateurs de comités antifascistes locaux, des représentants
de communautés d’immigrés, et des militants d’ANTARSYA, de SYRIZA et des
courants anarchistes se rencontrent et discutent pendant trois jours. A l’issue
du festival, la dynamique de la Coordination est lancée.
Août 2013
L’Aube Dorée
annonce préparer un camping international (puis européen) dans la ville de
Kalamata (Péloponnèse) le 14 août (la date fait référence à l’installation de
la dictature militaire de Metaxás en 1936). La Coordination rencontre deux
comités locaux à Kalamata pour organiser une contre-initiative afin d’empêcher
la tenue du rassemblement fasciste. Les comités locaux assurent une très grande
préparation, et la Coordination prépare une montée en car depuis Athènes. Les
animateurs de la Coordination reçoivent un coup de fil de menaces de la part
d’un député de l’Aube Dorée (le numéro apparaît, il sera établi qu’il passe son
coup de fil depuis le Parlement). Parallèlement une rixe a lieu au sein de
l’Assemblée Nationale entre députée de l’AD et de SYRIZA, les médias en font
leurs choux gras pendant trois jours… ce qui fait connaître l’initiative de
Kalamata. La contre-manifestation sera une très grosse réussite, avec un
rassemblement antifasciste énorme à Kalamata. La mobilisation de l’AD échoue,
le maire ayant finalement interdit leur rassemblement.
Septembre –
octobre 2013
Dans la foulée
de la mobilisation de Kalamata et alors que l’Aube Dorée poursuit ses
activités, La Coordination se structure, discute de ses perspectives. Survient
le 18 septembre l’assassinat du rappeur Pavlos Fyssas par un membre de l’Aube
Dorée. Une manifestation de masse a lieu le soir même dans le quartier où a eu
lieu le meurtre. Elle est violemment réprimée, de façon conjointe par la police
et par des fascistes qui assistent ces derniers par des jets de pierres sur les
manifestants. Une manifestation est appelée pour le 25 septembre jusqu’au
parlement. La Coordination prend l’initiative d’appeler à la prolongation de la
marche jusqu’aux bureaux de l’Aube Dorée. Les syndicats et SYRIZA ne relaient
pas cet appel. ANTARSYA, KEERFA (mouvement antifasciste créée par le SEK-IST)
décident de suivre. Le 25, la grande majorité du cortège (soit environ 20 000
personnes) marche vers les bureaux de l’AD, que la police les empêchera
d’approcher.
Dans les
semaines qui suivent d’autres manifestations ont lieu, la mort de Fyssas ayant
provoqué un véritable choc. Le 12 octobre, une manifestation a lieu entre Le
Pirée et Perama (commune où vivait Fyssas), avec la fermeture des bureaux de
l’AD pour mort d’ordre.
L’AD annonce un
rassemblement national devant ses bureaux (près de la gare Larissis d’Athènes),
le samedi 26 octobre. La Coordination appelle alors à une journée de
mobilisation comprenant plusieurs initiatives : à 12h une marche de la place
Victoria à celle d’Agios Panteleimonas, traversant les quartiers d’Athènes où
l’Aube Dorée est la plus implantée et commet la plupart de ses attaques. Puis à
15h une seconde marche vers les bureaux où se tient le rassemblement fasciste.
Ce dernier rassemble très peu de monde, la police empêche les antifascistes
d’approcher la zone. La journée est néanmoins un succès.
Parallèlement,
le mouvement antifasciste ne cesse d’agir et de se renforcer. La Coordination
d’Athènes – Le Pirée, lors de temps forts, prend le caractère d’un « collectif
des collectifs », même si elle ne rassemble pas la totalité du mouvement
antifasciste.
Janvier-février
2014
Le 25 janvier un
commando de l’AD intervient dans le quartier de Keratsini avec des tracts, des
slogans fascistes. Ils détruisent les banderoles disposées sur le lieu du
meurtre de Fyssas en sa mémoire et déchirent toutes les affiches antifascistes
qu’ils trouvent, avant de se diriger vers le local anarchiste Resalto, qu’ils
attaquent à coups de pierres et tentent de pénétrer, sans succès, grâce à la
résistance de ses occupants. Les policiers présents sur les lieux les laissent
faire et les protègent lors de leur retraite. Une manifestation a lieu à
l’appel de la Coordination à Keratsini le 31 janvier.
Cet événement
marque le début d’un retournement de conjoncture, particulièrement dans le
secteur Perama – Keratsini – Le Pirée. Le meurtre de Fyssas et les poursuites
lancées par le gouvernement contre les cadres de l’AD avaient abouti à une
baisse sensible des activités violentes des fascistes dans la rue, et semblé
indiquer une inflexion de la droite et des médias qui n’évoquaient plus la
possibilité d’un co-gouvernement Nouvelle-Démocratie / Aube Dorée (hypothèse
encore avancée très sérieusement à la télévision à l’été 2013). Mais à partir
du 25 janvier l’AD fait son retour dans la rue et l’attitude de la police
relève à nouveau de la pure et simple complicité. Les antifascistes relèvent
que désormais la maison des parents de Pavlos Fyssas est régulièrement attaquée
à coups de pierre, la famille menacée par des fascistes. Au Pirée, l’AD
apparaît tous les samedis publiquement.
Le 1er février
(lendemain de la manifestation de Keratsini), l’AD organise son rassemblement
annuel à la mémoire des deux militaires grecs morts lors des événements de 1996
(conflit entre la Grèce et la Turquie lié à un problème de souveraineté sur
deux îlots inhabités de la mer Egée). En 2013 ce rassemblement avait réuni
environ 10 000 personnes. Le gouvernement autorise la tenue de rassemblements
mais interdit toute manifestation. La Coordination discute de l’attitude à
adopter, puis lance un appel à un rassemblement pacifique à Syntagma jusqu’au
départ des fascistes de leur lieu de rassemblement. SYRIZA et ANTARSYA
s’opposent à cette initiative étant donné les conditions d’organisation
(certaines composantes et des individus y seront pourtant). C’est donc
essentiellement en lien avec le Front Antifasciste (anarchiste) et 5 ou 6
autres réseaux anarchistes que la Coordination prépare la manifestation. C’est
la première collaboration de cette ampleur de la Coordination avec le Front
Antifasciste depuis Kalamata. Le rassemblement de l’AD et celui des
antifascistes réunissent l’un comme l’autre environ 1000 personnes.
Le rassemblement
antifasciste de la place Syntagma est violemment attaqué sans motif sérieux par
la police, qui laisse dans le même temps les fascistes défiler en dépit de
l’interdiction de manifestation. 14 antifascistes sont arrêtés, dont un réfugié
politique turc gravement passé à tabac alors qu’il était menotté. Conduit à
l’hôpital, il est entouré en permanence par 15 à 20 policiers y compris pendant
ses examens médicaux. Disposant de l’asile politique, il est conduit à la GADA
(Direction Générale de la Police d’Attique). Il sera traduit en justice avec
des accusations lourdes (notamment d’avoir été cagoulé pendant la manif). Une
vidéo montre pourtant qu’il avait le visage découvert, mais le juge rejettera
cette vidéo ainsi que les témoins le confirmant. Le procès doit avoir lieu dans
les semaines qui viennent. Les 13 autres manifestants arrêtés sont relâchés
sans poursuites.
Le contexte
répressif aujourd’hui
La répression de
la manifestation du 1er février s’inscrit dans un contexte plus général de
retour de la part de l’Etat à sa politique antérieure à la mort de Pavlos
Fyssas, de criminalisation de la gauche, des antifascistes, des anarchistes, et
à la couverture des activités des fascistes :
-
3 manifestations ont été interdites ces derniers
mois.
-
Un anarchiste a été condamné à 25 ans de prison
sans preuves (pour participation à un braquage dans l’île de Paros l’an
dernier, qui s’était soldée par la mort d’un chauffeur de taxi).
-
Suite à l’évasion d’un membre du groupe du 17
novembre (Savas Ksiros), plus de 70 domiciles d’anarchistes ont été
perquisitionnés, dévastés… sans résultats.
-
Une manifestation d’ANTARSYA contre la
présidence grecque de l’UE a été réprimée violemment, une arrestation et des
poursuites à la clé.
-
En février, dans une école de Keratsini, des
élèves qui avaient participé à l’occupation de leur établissement en septembre
ont été arrêtés, la directrice ayant donné leurs noms à la police (gardés à
vue, les élèves se sont entre autres entendu demander… ce que votaient leurs
parents).
Pour la
Coordination, cette pression va durer jusqu’aux prochaines élections au moins.
Quand à l’Aube Dorée, bien que les procédures soient en cours contre ses
dirigeants, la politique du gouvernement va sans doute consister à les
maintenir en place, quitte à ce qu’ils changent de nom (ce qui est déjà
annoncé, le parti se présentant sous le nom d’Aube Nationale aux élections)
afin d’en faire un élément de pression et de menace contre un éventuel futur
gouvernement de SYRIZA. N’oublions pas qu’avant la mort de Fyssas, des
journalistes du système évoquaient ouvertement l’idée d’un co-gouvernement
ND/Aube Dorée, et que l’attitude de la police relevait de la pure complicité.
Festival Antifasciste Européen,
Athènes, 11 – 12 – 13 avril 2014
L’initiative
date des premiers pas de la Coordination, il est en préparation depuis des mois
et peut constituer un événement fort important pour la suite, pour le mouvement
antifasciste grec comme européen.
Le programme
n’est pas définitivement arrêté, une première mouture (déjà en partie périmée)
avait ce qui suit pour trame :
-
Ouverture du festival par un grand meeting.
Seraient présents Joe Higgins (PS Irlande), Alain Krivine (NPA), Tariq Ali,
Raoul Vanegeim…
-
Le samedi matin et après-midi, des ateliers
auraient lieu en parallèle sur différents thèmes, assurés par des collectifs
participant à la préparation du festival : l’antifascisme dans les milieux
footballistiques, les arts, le journalisme, l’éducation, les communautés
immigrées, les réseaux LGBT…Le samedi soir une AG centrale serait dédiée aux
échanges d’expériences et propositions d’actions communes, avec intervention de
toutes les délégations représentées. Puis concert.
-
Dimanche matin : Clôture de l’AG de la veille
par la présentation des rapports des ateliers, la constitution d’un réseau
européen, et éventuellement une journée d’action européenne au printemps (en
fonction des diverses propositions).
La dynamique
locale :
C’est la
première initiative antifasciste appelée par un spectre de mouvements et
collectifs locaux aussi large, et préparée à aussi long terme. Autour de sa
préparation, des réseaux antifascistes se sont apparus et ont commencé à se
structurer dans des secteurs où rien n’existait jusqu’à présent. C’est
notamment le cas dans les clubs de football et les organisations de supporters,
les journalistes, les réalisateurs. Des syndicats enseignants participent,
ainsi que des communautés d’immigrés et des réseaux LGBT. Aris Chatzistefanou,
réalisateur de Debtocracy et Catastroïka présentera sans doute son nouveau
documentaire sur l’Aube Dorée.
Sans réunir la
totalité des antifascistes, ce festival (et le collectif lui-même) est le
creuset d’une action pouvant se déployer dans de nombreux secteurs de la
société. Il ne s’agit donc pas de réaliser un coup mais bien d’ancrer le
mouvement antifasciste dans une action de long terme.
La dimension
européenne :
A ce stade, la
Coordination compte sur la venue de délégations couvrant une bonne partie du
continent: Allemagne, Serbie, Chypre, Turquie, Croatie, Bulgarie, Italie,
Belgique, Suède, Hongrie, Russie, France, Angleterre, Russie, Roumanie.
L’enjeu de la
participation d’une délégation ukrainienne est évidemment posé, la centralité
de la question pouvant conduire à une modification du programme. Le problème
est d’entrer en contact avec des réseaux ou organisations ayant une certaine
consistance, et la vitesse des évolutions en cours peut compromettre leur
disponibilité.
Les composantes
de la Coordination se sont répartis les pays et organisations à contacter, en fonction
des contacts internationaux de chacun. Il n’y a bien sûr en aucune manière de
limite à la participation, au contraire. En France, outre Alain Krivine pour le
NPA, un camarade de Clément Méric interviendra au nom de l’Action Antifasciste
Paris-Banlieue. La coloration politique des délégations sera large.