Deltio Thyellis – n° 38, avril 2014
L’auteur de cet article (publié dans le bulletin du Réseau pour les Droits Politiques et Sociaux), est chercheur en Sciences Politiques et Histoire à l’Université Panteion d’Athènes et membre de SYRIZA.
L’auteur de cet article (publié dans le bulletin du Réseau pour les Droits Politiques et Sociaux), est chercheur en Sciences Politiques et Histoire à l’Université Panteion d’Athènes et membre de SYRIZA.
Il publie de nombreux articles sur la situation politique de la Grèce
et de Chypre, dont il est originaire.
Cela peut s’entendre
comme un cliché, mais c’est pourtant le reflet exact des évolutions en cours à
Chypre : nous sommes face à des moments décisifs et historiques. Tout
indique que le processus de négociations va conduire à ce que l’auteur lui-même
ne pouvait imaginer après 2004, de nouveaux référendums sur l’adoption ou non
d’un nouveau plan de résolution du problème chypriote. Parce que le moment est
crucial, la gauche a le devoir d’examiner l’ensemble des données de la
situation – historiques, sociaux, politiques et économiques – afin de définir
une opinion sur les événements en cours.
Acquis fondamentaux
Le premier et le plus
important, l’affaire chypriote ne démarre pas en 1974 : elle a une longue
histoire qui remonte au moins à la décennie 1940. En témoignent les
affrontements intercommunautaires de 1958, de 1963 – 64, de 1968. La
liquidation des villages chypriotes turcs
Tochnis et Marathas par des soldats chypriotes grecs en 1974 vient le souligner. En peu de
mots, le problème chypriote n’est pas seulement un problème d’invasion et
d’occupation. C’est tout d’abord un problème de querelle de nationalités et,
par conséquent, ce repli, de même que cette invasion – occupation, ne peut que
remplir un rôle important dans n’importe quel plan d’accord.
Le second : La
position constante de la gauche est la solution de confédération
bicommunautaire des deux zones (Διζωνικής Δικοινοτικής Ομοσπονδίας,
DDO) dans le cadre de l’ONU. Confédération bicommunautaire, car cette
solution est juste historiquement, et qu’elle est la seule qui puisse
constituer un pas déterminant vers le dépassement de la querelle de
nationalités. C’est une solution rationnelle qui respecte les peurs et
incertitudes des deux communautés et restaure les libertés de base dans l’île.
Dans le cadre de l’ONU car malgré son caractère impérialiste et le rôle que
jouent les USA en son sein c’est le seul cadre communément reconnu, et c’est
pour cela qu’elle est la position constante de la partie chypriote grecque de
1974 à aujourd’hui. Ainsi, à partir de 1977 et conformément aux votes 716 et
750 de l’ONU, tant le cadre de la DDO
que le principe de l’égalité politique des deux communautés sont préservés. C’est
précisément parce ces principes sont communément admis par l’ensemble des
forces politiques (extrême-droite exceptée) de la communauté chypriote grecque
qu’ils ont fait partie des accords conclus par les présidents chypriotes, y
compris par le très retord Tassos Papadopoulos.
Le nouveau communiqué commun
Il s’agit d’un texte
d’accord sur le cadre de la solution. Le projet final résultera de négociations
et sera soumis à l’épreuve de référendums séparés. Que craignent ceux qui
s’opposent ? Beaucoup de choses ont été dites et écrites au sujet de ce
texte. L’important est que la DDO est
sauvegardée, avec une souveraineté, une nationalité et une représentation
internationale. De plus, l’interdiction de toute tendance éventuelle à la
séparation est affirmée, de façon nettement plus forte que dans les plans
précédents. Bien entendu, un tel texte contient des incertitudes, des manques
et des vides, qui seront précisément l’objet des négociations.
Les résistances
Elles proviennent
souvent des mêmes cercles patriotiques, qui ressassent constamment les mêmes
arguments. Je ne pense honnêtement pas qu’il existe de terrain de discussion,
car leur analyse a pour point de départ une thèse avec laquelle je suis en
total désaccord : Chypre est une île grecque non inclue dans l’Etat grec,
mais qui fait bien partie de la nation grecque et doit être considérée comme
telle. Il existe par ailleurs des questionnements « bienveillants ».
Certains évoquent la situation économique défavorable tant de la République de
Chypre que de la Grèce, et se demandent si le moment est le plus approprié pour
résoudre le problème chypriote. La réponse est que le moment
« approprié », c’était hier. A mesure que le temps passe, les
conditions deviennent de plus en plus défavorables. Les résultats de la
séparation de fait s’ancrent, tant sur le terrain que dans les consciences. Par
conséquent, c’est toujours le bon moment.
La seconde objection
évoque le problème de l’impérialisme et du rôle des USA dans le processus, du
fait de la découverte d’hydrocarbures en mer de Chypre. L’objectif premier des
USA est que la stabilité règne dans la région afin que le passage du gaz puisse
se faire en toute sécurité. Ceci crée les conditions d’une solution. Ils savent
en revanche que pour que la solution s’impose elle doit être communément
adoptée. En quoi ceci est-il contradictoire avec les intérêts chypriotes grecs
et turcs ? Le rejet de la solution dans le cadre de l’anti-impérialisme
conduit, historiquement, à plus d’impérialisme. Suite au « non » de
2004 nous avons été conduits à une alliance politico-militaire avec Israël dans
le but de renforcer la position de la République de Chypre face à la Turquie. A
l’heure où ses lignes sont écrites, ont lieu des exercices militaires communs.
De plus le rejet du Plan Annan a mené à l’intégration unilatérale à l’UE et à
la zone euro afin de renforcer la partie chypriote grecque et d’augmenter la
pression sur la partie chypriote turque.
En fin de compte, le
gel de la situation existante au nom de l’anti-impérialisme ignore le fait que
l’impérialisme se gèlera aussi. Les projets liés au gaz naturel seront
maintenus. Les intérêts américains peuvent être satisfaits dans le cadre d’une
division normalisée de Chypre. C’est-à-dire un aménagement de la situation,
avec retour possible des habitants de Varosha (1) et probablement un accord de répartition des profits issus de
l’exploitation du gaz naturel. Les différents camps (grecs, turcs,
britanniques) se maintiendront dans l’île et le rôle de la Turquie dans la
partie nord ne cessera de se renforcer. Enfin, la gauche restera enfermée dans
les limites nationales que détermine la situation présente, impuissante à fixer
un nouveau cadre uni de lutte sociale et de classe.
Adam Zaxariadis
(1)
Ce
quartier balnéaire de la ville chypriote turque de Famagouste a été déserté par
ses habitants grecs lors de l’invasion par l’armée turque en 1974 et est depuis
abandonné. (NdT)