La coalition anticapitaliste ANTARSYA connait actuellement d'importants débats d'orientation. Une partie de ses composantes (les organisations "néo-althussériennes" ARAS et ARAN) sont particulièrement favorables à un rapprochement, et à une alliance avec le "Plan B" d'Alekos Alavanos (ancien président de SYNASPISMOS et de SYRIZA avant Alexis Tsipras). Ce mouvement a été créé il y a deux ans suite à la sortie d'Alavanos et de quelques militants du groupe maoïste KOE de SYRIZA, et a pour axe politique central la sortie de la Grèce de la zone euro (sa position sur l'appartenance à l'UE elle-même étant moins claire). Les composantes trotskystes d'ANTARSYA comme le SEK (IST) ou l'OKDE-Spartakos (IVè Internationale) ont à ce sujet un point de vue que nous présenterons dans un prochain post.
Cet article paru dans PRIN, le journal du NAR (principale composante d'ANTARSYA), donne le cadre des discussions en cours. Le communiqué qui suit indique la position officielle de l'organisation.
Le front commun de toutes les forces
maintenant une ligne de démarcation profonde avec l’ennemi politique et de
classe des travailleurs est absolument nécessaire et possible
La proposition politique de front commun
est sans aucun doute la nécessité de la période. Elle est née comme résultat de
la recherche de voies pour une plus grande influence dans la société du
programme anticapitaliste de rupture avec la domination des politiques
bourgeoises, de l’expression de la montée en puissance du courant contre l’euro
et l’UE, du contact avec les milliers de militants du mouvement et de la gauche
qui prennent conscience – de leur façon propre et contradictoire – des limites
et des insuffisances de la domination de la gauche gestionnaire, de l’ouverture
dans la rue de la possibilité de construction d’un pôle de masse de la gauche
anticapitaliste, anti-impérialiste, anti-UE. Le NAR a donné sa position dans un
communiqué du Bureau Politique. (voir
ci-dessous)
La proposition de front politique
commun est une proposition d’ « alliance » entre ANTARSYA et
plus largement le courant de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire et
différents courants, parmi lesquelles des forces ne s’incluant pas elles-mêmes
dans la gauche anticapitaliste et révolutionnaire. Par exemple le « Plan
B » à partir de sa fondation, qui a marqué une différentiation positive
vis-à-vis du courant européiste de la gauche, a dans sa déclaration
programmatique une série de thèses qui croisent sur des questions-clés le programme
d’ANTARSYA, comme la sortie de la zone euro, la sortie de l’OTAN, la
nationalisation des banques et des secteurs stratégiques de l’économie. Ce sont
là des thèses qui nous conduisent objectivement à la rupture avec les
orientations fondamentales, stratégiques de la bourgeoisie. Cependant à un
niveau significatif, tant dans les documents du Plan B que dans les prises de
position publiques de son représentant, il existe une sérieuse ambiguïté
concernant le fait de savoir si ces changements s’incluent dans le cadre
politico-idéologique d’un nouveau modèle « keynésien », ou dans une
perspective anticapitaliste (même incomplète), dans un déplacement du rapport
de force capital-travail favorable au travail, ou dans une logique
d’affrontement de classe et de renversement du système.
Nous pensons qu’en dépit des
différences programmatiques entre ces forces, le front commun de toutes les
forces maintenant une ligne de démarcation profonde avec l’ennemi politique et
de classe des travailleurs est absolument nécessaire et possible. Démarcation
avec les forces du capital et ses organisations et représentants politiques.
Avec la politique du « front noir » des banquiers, des industriels,
des usuriers, locaux et étrangers. Avec le gouvernement Samaras-Vénizelos, la
troïka, la zone euro et l’Union Européenne, et qui luttent pour leur
renversement. En d’autres termes nous voulons une alliance/front de ces forces qui
auront le courage de jeter le gant à Samaras et de dire : « nous,
nous sommes les forces qui veulent sortir de l’UE et de l’OTAN. Qui vous
combattrons vous et vos patrons jusqu’à la victoire ».
La proposition politique du front
commun ne correspond pas à une somme de « points » et
d’ « objectifs politiques partiels ». Elle est sous-tendue par
une « ligne rouge », une logique unique et cohérente qui répond aux
questions politiques fondamentales que pose toute lutte, en particulier la
lutte des classes. Contre qui luttent les travailleurs et les classes
populaires ? Sur la base de quel programme politique ? Qui imposera cette solution et comment ? Quel est notre objectif final ?
Ainsi la proposition de front commun a
pour objectif politique central le renversement de la politique de
l’UE-FMI-Capital et du gouvernement bipartite qui l’incarne, de même que tout
gouvernement menant une politique antipopulaire. Elle appelle à l’organisation
du peuple et à la reconstruction de son mouvement, car toute solution conforme
à ses intérêts ne peut être que le résultat de l’intensification de ses propres
luttes, un soulèvement ouvrier et populaire général, et non pas d’insouciantes
batailles parlementaires dans les « tranchées du Parlement ». Elle a
conscience que ne peuvent exister de
politiques en faveur des classes populaires dans le cadre des engagements des
mémorandums et de l’UE, ni de conquêtes stables et durables dans le cadre d’une
politique de gestion du système capitaliste. Elle propose comme issue politique
un autre chemin à la société grecque, dans un sens anticapitaliste et
anti-impérialiste, sur la base du programme approprié. Elle a pour objectif
final le passage des richesses et du pouvoir entre les mains des travailleurs,
des changements révolutionnaires pour que la voie d’une perspective socialiste
moderne soit ouverte.
Ces thèses ont été adoptées tant lors
de la second conférence nationale d’ANTARSYA, que dans la proposition politique
faite par ANTARSYA envers les forces qui ont participé à la réunion du 3
octobre.
Cette base politique n’est pas le
programme complet d’ANTARSYA. Elle n’est pas « minoritariste », une
proposition « contre » ou proposition de front des « forces
révolutionnaires ». Une telle proposition présupposerait une perception de
l’articulation entre tactique et stratégie et de la nature des changements
révolutionnaires dans la société grecque. Une direction préétablie pour les
voies de construction du socialisme et l’ouverture de discussions sur la
perspective communiste. Nous ne proposons pas et nous ne prétendons pas à
quelque chose de tel.
Sur la base de la proposition de front
commun, ANTARSYA a pris l’initiative dès cet été qu’aient lieu des discussions
bilatérales avec toutes les forces de l’ « autre gauche ». Elle
a appelé à l’importante discussion du 3 octobre. Elle a poursuivi en envoyant
aux forces ayant participé un plan de discussion communes. Cela suffit donc de
caractériser en permanence la position d’ANTARSYA d’« anti-unitaire »,
car elle ne négocie jamais ses positions (qui rencontrent pourtant l’approbation
de grandes fractions du peuple), pour apparaître « unitaire ».
Le fait que les autres forces ne se
soient pas positionnées jusqu’à maintenant sur cette proposition et le fait que
le « Plan B » a rejeté en bloc cette proposition comme base de
discussion, proposant à la place une « autre base de discussions »
(le texte en 10 points du camarade Roussi), ou le fait que dans les discussions
actuelles il semble être tiraillé en permanence voire s’éloigner de thèses avec
lesquelles il était en accord dans le passé (comme l’idée de rupture claire et
de désengagement de l’UE), tire le processus en arrière et suscite des
interrogations quant à la détermination et l’engagement de ces forces pour
qu’il progresse de façon résolue.
Le programme politique que propose
ANTARSYA répond aux intérêts du monde du travail. Ses thèses sont défendues
depuis des années dans le mouvement de masse. Il est cohérent et pratique. Il
ne sert à rien pour la gauche de chercher des formulations complexes sur le
papier comme si la politique était un problème de formulations et de
manipulations verbales.
La question de la « double »
libération, de l’euro et de l’Union Européenne est un chaînon indispensable de
l’ensemble de la logique. D’abord parce que l’Union Européenne constitue le
cœur de la troïka, donc l’artillerie lourde de l’enfer des mémorandums. Deuxièmement :
parce que l’UE prend en charge de façon directe la « surveillance »
de l’économie grecque (jusqu’au remboursement de 75% des emprunts du
« mécanisme de soutien »), elle assume pour ainsi dire à elle seule
le rôle de la troïka, qui peut du reste être dissoute. Troisièmement parce
que la dette se trouve désormais à 90% entre les mains du « secteur
officiel » (Etats européens, BCE, mécanisme de soutien) et toute idée de
résiliation unilatérale conduit inévitablement à la rupture avec ces structures. Quatrièmement parce qu’avec son cadre
institutionnel réactionnaire global, avec ses règlements et ses résolutions,
elle impose quotidiennement les intérêts capitalistes les plus sombres
d‘aujourd’hui (par ex. la privatisation des biens publics, la libéralisation
des marchés, les Zones Economiques Spéciales, ect). Ses décisions priment le
« droit national », détruisant toute notion de démocratie ou de
souveraineté populaire. Ainsi la rupture et le désengagement de ce monstre
impérialiste est la condition sine qua non à la moindre « réforme »
populaire, sans même parler d’un changement global que nous appelons de nos vœux !
La « grille » des objectifs,
annulation des mémorandums et dénonciation des accords de prêts coloniaux,
résiliation de la dette, nationalisation des banques et des grandes entreprises
sans indemnisations sous contrôle ouvrier et populaire, sortie de l’euro et de
l’UE, amélioration immédiate de la condition des travailleurs s’entremêlent et
constituent chacun la précondition de l’autre. Leur présentation globale ne
relève pas notre obsession personnelle.
ANTARSYA s’en tiendra résolument à
l’avancée globale et à l’ouverture de ce processus aux milliers de militants
qui recherchent une autre gauche. Elle renforcera parallèlement son
indépendance politique et organisationnelle car seule une ANTARSYA renforcée
peut influer de manière décisive sur les luttes et devenir un levier de
bouleversement dans la gauche.
Ce front est nécessaire et possible.
ANTARSYA a montré qu’elle est décidée à parvenir à une issue positive. Et les
autres forces ?
Antonis Draganigos, membre du Comité
de Coordination Central d’ANTARSYA, journal PRIN, 3/11/2013
Communiqué du Bureau politique du NAR :
pour le front commun
Nous nous trouvons à un moment
critique de la guerre populaire prolongée contre l’attaque barbare du capital,
de l’UE et du FMI, qui a pour but la restructuration ultraréactionnaire du
capitalisme qui s’enlise dans sa crise. Il devient de plus en plus clair que
pour que vainque la lutte incessante de notre peuple, pour que se transforment
les vives résistances et le profond ressentiment en front militant de rupture et
de renversement, il faut un regroupement de classe, un mouvement populaire et
ouvrier et une autre gauche, anticapitaliste pour le renversement du système.
Cette gauche qui a attaqué Samaras,
que craint le système, la gauche qui met sur la table la nécessaire sortie de l’euro,
de l’UE et de l’OTAN, la gauche qui s’affronte au capital et à son ofensive
cannibale.
C’est en réponse à ce besoin qu’ANTARSYA
a pris avec résolution l’initiative pour une collaboration politique de la
gauche de renversement du système, pour une collaboration combative (sur le
plan politique général mais aussi dans chaque domaine de lutte) des forces anticapitalistes,
anti-impérialistes, anti-UE et radicales de la gauche et du mouvement. Une
collaboration qui ne supprime pas l’indépendance des différentes forces
politiques, ni ne conduise à la hâte à un « front » fusionnant des
approches contradictoires, mais qui réalise le pas urgent et nécessaire vers le
pôle des forces de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire que notre
époque réclame.
Le NAR soutient sans réserve l’initiative
d’ANTARSYA et le cadre politique qu’elle définit, lequel correspond à ce qui
est nécessaire et adapté pour une politique de gauche et de renversement
aujourd’hui. L’initiative d’ANTARSYA a fait bouger les lignes, a contribué à
des changements positifs, elle ne peut être contournée ou fragmentée. Non
seulement car elle a été élaborée et adoptée à une écrasante majorité, par un
corps de 1000 délégués lors de la seconde conférence nationale d’ANTARSYA, mais
parce qu’elle répond à des nécessités sociales et politiques, qu’elle exprime
la dynamique des éléments d’avant-garde du mouvement de masse.
Les travailleurs en ont assez et ont
autant de méfiance vis-à-vis d’une logique qui fixe un cadre politique maximum
pour qu’il ne se passe rien, que d’une logique qui consiste à appeler la bouche
en cœur à l’unité pour que rien ne change. Nous retrouvons ces logiques dans le
bipartisme particulier de la gauche réformiste et euro-gouvernementale
traditionnelle. A ceux qui veulent lever le drapeau d’une nouvelle expérience
de renversement de ne pas le reproduire. La force de tout rassemblement de différentes
forces politiques est déterminée par deux éléments : d’abord, du point de
vue de son contenu, qui pour rassembler doit aller droit au but et frapper « le
cœur de la bête » et non pas la périphérie. La lutte pour que les chômeurs
aient du travail, pour la rupture radicale en faveur des travailleurs à tous
les niveaux, pour que les jeunes vivent et rêvent chez eux et pas en exil, requiert
un ensemble d’objectifs avec des aspects cruciaux tels que la rupture
unilatérale et immédiate des mémorandums, des accords de prêts et l’ensemble du
sale arsenal législatif qu’ils ont mis en œuvre, l’annulation de la dette, la
sortie de l’euro et de l’Union Européenne sur des bases ouvrières et
internationalistes, la perte de profits, de richesse et de propriété pour le
capital, son affaiblissement global. L’inspiration de la rupture
anticapitaliste vient du futur de l’émancipation ouvrière et pas du passé des
illusions pour un nouveau « contrat social » ou une réorganisation de
la production hors de l’euro mais à l’intérieur de l’UE et du système. C’est
pourquoi le front politique commun de la gauche de renversement dira clairement
que les grands changements à caractère révolutionnaire qui sont nécessaires ne
seront pas réalisés à partir de l’idée centrale (finalement sans résultat) d’un
gouvernement de gestion à l’intérieur de l’euro, de l’UE et du système, comme
le propose SYRIZA, ni à partir de l’attente du renforcement du parti (à la
KKE), mais à partir du rôle prééminent et déterminent du mouvement de masse, à
partir de son rassemblement de classe et de l’émergence de ses propres organes,
avec redistribution des cartes et double dépassement de la gauche actuelle.
Deuxièmement, dans chaque tentative
unitaire, la forme et les moyens jouent un rôle déterminant. L’autre gauche ne
peut se construire de la même manière que se reproduit la gauche traditionnelle
et le système politique bourgeois condamné. Les sommets politiques la gestion
médiatique, les bricolages des pontes ignorés des milliers d’animateurs
principaux du mouvement, la dissimulation de divergences existantes (comment
pourraient-elles ne pas exister ?) qui ne conduit pas à leur nécessaire
dépassement, ne correspondent pas à des problèmes formels, mais à de véritables
questions de fond. Quand il y a différentes approches, une énorme dynamique se
crée.
Dans l’ensemble, chaque pas vers le
toujours nécessaire contenu radical, vers le positionnement anti-UE et anti-gestionnaire
clair et sans oscillations, en vient à rallier le monde militant et accélérer
les développements politiques.
Le NAR depuis de nombreuses années,
non sans difficultés et contradictions, mène un combat unitaire pour le
rassemblement politique et programmatique de la gauche de combat,
anticapitaliste et révolutionnaire, sur une base démocratique et indépendante,
dans la perspective d’un pôle fort de ces forces, pour que change radicalement
le mouvement, la gauche, la vie des travailleurs. Pour la révolution
anticapitaliste et l’émancipation communiste. ANTARSYA constitue un pas plein d’espoir
dans cette direction. Son initiative politique pour le front commun ouvre la voie
du renversement du système. Avec audace, continuons !
Bureau Politique du NAR, Athènes,
1/11/2013