Un article de la revue Spartakos (organe de l'OKDE, section grecque de la 4ème Internationale), au sujet de Chypre, et de la question de l'euro. Paru en grec dans le numéro d'avril 2013 de la revue, une version anglaise a été mise en ligne en mars dernier par Intenational Viewpoint.
Indépendamment de la
petite taille de l’Etat Chypriote, les évolutions constatées depuis le récent
hold-up sur les banques dans l‘île nous donnent une bonne occasion d’évaluer
quelques points cruciaux d’une réponse de la gauche en rapport avec la nature
de la crise en cours ainsi qu’à ses propres tâches.
L’UE serait-elle devenue prosoviétique ?
Le président russe
Medvedev a déclaré que « l’UE à Chypre est comme les bolcheviks en Russie
soviétique ». Il est effectivement paradoxal d’entendre des responsables
de l’UE faire mention de l’hypertrophie du système bancaire chypriote, alors
que les mêmes personnes parlaient de la supériorité du libre marché. Il est
encore plus paradoxal d’entendre des ministres de pays de l’UE évoquer
l’économie-casino de Chypre, soutenant que les banquiers devraient payer pour
leurs faillites ; les mêmes personnes qui encourageaient les bulles bancaires
et ont sauvé les banques européennes avec l’argent public.
La gauche n’a pas de
raison de ne pas accueillir favorablement la décision de faire payer les
actionnaires des banques, des grands investisseurs et des compagnies off-shore.
Mais telle n’est pas la nature fondamentale de la politique de l’UE, et celle-ci
ne constitue certainement pas une politique socialiste.
- D’abord car la question principale « où va l’argent des coupes » demeure. Dans le cas de Chypre il n’ira pas à des services sociaux ou autres choses de ce genre. Il sera perdu dans l’abysse de la zone euro pour couvrir une part de l’immense bulle financière et du crédit. Ce n’est pas une redistribution des richesses. Il s’agit de la recette désormais classique de la Troïka de réduire le cycle économique d’un pays.
- Deuxièmement car cette réduction du revenu national, en définitive, frappe la classe ouvrière. Si les grands capitaux d’investissements (funds) perdent 40% de leurs investissements, les caisses d’assurances des travailleurs s’effondreront ainsi qu’une série de petites et moyennes entreprises. Le chômage augmentera et le mémorandum qui suivra réduira les salaires des travailleurs une seconde fois.
- Troisièmement car l’antagonisme entre différents intérêts capitalistes fait partie du capitalisme. Medvedev et les capitalistes russes devraient le savoir.
En réalité, le cas de
Chypre révèle une nouvelle tactique de l’UE. C’est la première fois depuis 2008
que l’Europe renfloue les actionnaires des banques à un tel niveau. Cela ne se
produit pas pour des raisons de sensibilité sociale. Cela se produit parce que
la crise de la zone euro se poursuit et s’intensifie. Indépendamment du fait
que la déclaration de Dijsselbloem (« Chypre est le modèle du
futur ») (1) soit vraie ou pas, le
cas de Chypre est de facto une
reconnaissance de l’échec des soi-disant mécanismes de sauvetage, comme le MES.
Il est évident que nous entrons dans une nouvelle phase dans laquelle les
affrontements inter-capitalistes et inter-impérialistes augmenteront.
Le rêve de Jean
Monnet d’une fédération européenne basée sur l’harmonie de fonctionnement des
Etats européens est une fois de plus en danger, car aucun mode de
fonctionnement n’est au-dessus du caractère de classe de l’UE impérialiste
actuelle. Et cela non pas parce que l’UE est très soviétique, mais parce
qu’elle est très capitaliste.
La renégociation est-elle une bonne tactique pour la gauche ?
Au nom du réalisme,
la majorité de la gauche européenne maintient dans le noyau dur de son
programme l’idée que les résistances des peuples et le changement du rapport
des forces politiques pourraient conduire à une négociation réussie avec l’UE,
et finalement mettre en cause – ou au moins ébranler – son agenda néolibéral.
Le 18 mars 2013 Giannis Milios, responsable de la politique économique de
SYRIZA, déclarait : « Un vote négatif du Parlement chypriote
porterait la « guerre » dans les institutions européennes. Les
centres de pouvoir néolibéraux devront battre en retraite et il est probable
que s’enclenche une évolution inverse à la marche négative de ces cinq
dernières années ».
Le lendemain
l’Assemblé Nationale chypriote disait « Non » mais cela n’a
franchement pas contraint les institutions de l’UE à changer de ligne. En
réalité il n’y a eu aucune (re)négociation. La proposition initiale de l’UE a
été soumise à nouveau la semaine suivante (encore pire) et elle a été approuvée
par la même Assemblée Nationale. Tous les Messies présumés comme la Russie, la
Chine ou la coalition du sud européen, se sont révélés être des mirages.
La gauche doit-elle
donc continuer à reproduire l’idée d’une renégociation porteuse de résultats
avec les institutions capitalistes, ou doit-elle s’appuyer sur le développement
d’une proposition politique alternative hors de ces institutions ? Chypre
est certainement un exemple fort en défaveur de la première hypothèse.
L’euro est-il une monnaie réformable ?
Une fois de plus, à
Chypre, l’ensemble de la discussion s’est focalisée sur la question de l’euro.
Les chantages de l’UE se sont appuyés là-dessus. Le gouvernement chypriote s’en
est servi pour justifier l’acceptation des accords en cours et des futurs
mémorandums. Michalis Sarris, ministre de l’économie de Chypre, a
déclaré : « Franchement, nous ne pouvons pas dire que nous gagnons
une bataille. En revanche nous avons évité une sortie catastrophique de la zone
euro ».
L’AKEL (2) a réclamé une solution « sans
la Troïka, mais à l’intérieur de la zone euro ». L’AKEL ignore-t-elle
vraiment qu’une des composantes de la Troïka est la BCE, qui contrôle
l’euro ? L’AKEL ignore-t-elle vraiment que l’accord final a été conclu sur
la base du chantage selon lequel la BCE mettrait fin au financement des banques
chypriotes ? La réponse évidente est non. L’AKEL sait pertinemment que
tous les chantages de la Troïka étaient fondés sur l’euro. Néanmoins son
attachement à la zone euro dévoile aussi les limites politiques qui sont les
siennes pour formuler une alternative anti-systémique.
Un certain nombre d’économistes
de gauche en Europe soutiennent qu’une sortie probable de l’euro voudrait dire
une dévaluation de l’ordre de 50% et que cela serait pire qu’une coupe de 7%
chez les petits déposants. Poser le problème de cette façon constitue la pire
méthode que la gauche pourrait suivre, car en fin de compte cela reviendra
toujours à s’accorder avec les ministres de l’économie comme Sarris,
Stournaras, Guindos, Gaspar ect (3),
sur le fait qu’ « au moins on a sauvé notre euro ». Pourtant la
classe ouvrière n’a pas simplement le choix entre l’austérité sauvage et la
catastrophe. S’arracher de ce dilemme n’est pas une question économique, mais
un combat politique, et la gauche qui n’est pas en mesure de reconnaître le rôle
politique de l’euro est simplement incapable de mener cette lutte.
La sortie de l’euro n’est
pas une bonne idée économique. Mais c’est une étape politique indispensable
pour une alternative ouvrière contre le système. C’est le seul moyen pour que
la revendication de contrôle public du système bancaire puisse rencontrer le
succès. C’est une condition inévitable
pour la gauche qui lutte pour changer les rapports de forces aujourd’hui,
sans reporter la question à un futur lointain et aléatoire.
Chypre nous montre
que le respect du cadre de l’euro (qu’il vienne du Rassemblement Démocratique
de droite ou de l’AKEL de gauche) ne peut avoir qu’un résultat : l’acceptation
de l’austérité. Elle nous indique aussi qu’il existe différentes
interprétations de la sortie de l’euro (petite-bourgeoises, nationalistes, mais
aussi capitalistes). Une approche anticapitaliste de la question ne peut l’ignorer.
Cependant, il reste acquis pour les anticapitalistes en Europe qu’il ne peut y
avoir de réponse radicale si nous ne disons pas que l’euro fait partie de l’arsenal
de l’ennemi. De plus, la réponse anticapitaliste aux chantages du capital (bank run, dévaluation ect) devrait être
la mobilisation populaire et pas le repli dans le cadre de l’euro.
Un gouvernement de gauche est-il toujours une solution de gauche ?
Une particularité
supplémentaire de Chypre réside dans le fait que le pays a été conduit aux
mémorandums par un gouvernement soi-disant de gauche dirigé par l’AKEL. L’AKEL
correspond en Grèce tant à SYRIZA qu’au KKE. Particulièrement pour ce qui
concerne SYRIZA, le gouvernement de gauche de Chypre a été présenté comme
modèle pour sa proposition équivalente, un certain nombre de ses économistes
éminents ont presque justifié le premier mémorandum chypriote (comme bonne
négociation avec la Troïka) et SYRIZA a soutenu la politique de la République de
Chypre sur les questions énergétiques en Méditerranée orientale (politique
basée sur une alliance stratégique avec Israël et contre les intérêts du peuple
palestinien).
Bien sûr le système
politique et le contexte social de Chypre sont très particuliers et ne peuvent tout-à-fait
être comparés avec les autres pays européens. Malgré cela, nous pouvons puiser
un certain nombre d’enseignements de l’expérience gouvernementale d’AKEL :
le fait de parler au nom du communisme ou autres proclamations radicales ne
suffit pas. Un gouvernement de gauche ne peut exister en tant que tel qu’à la
condition d’ouvrir la voie à la rupture avec le cadre politique et économique
dominant. Ceci requiert une action extraparlementaire et extra-institutionnelle
pouvant donner naissance à de nouveaux organes d’auto-organisation ouvrière.
« Radical veut
dire prendre les choses à la racine ». La racine de la réponse politique
en faveur des intérêts ouvriers réside dans le fait de commencer à contester la
propriété capitaliste et l’hégémonie de ses institutions. Il n’y a probablement
pas de raccourcis : dans la jungle du capitalisme les lions ne sont pas
végétariens.
(1)
Jeroen Djisselbloem ; ex-ministre néerlandais
des finances, président de l’Eurogroupe depuis janvier 2013
(2)
AKEL : Parti Progressiste des
Travailleurs, ex Parti Communiste de Chypre, membre du Parti de la Gauche
Européenne.
(3)
Michalis Sarris : ministre de
l’économie de Chypre ; Yannis Stournaras : ministre des finances de
Grèce ; Luis de Guindos : ministre de l’économie et de la
compétitivité d’Espagne ; Vitor Gaspar : ministre d’Etat et ministre
des finances du Portugal.
Dimitris Hilaris
Dimitris Hilaris